la Jota
Marguerite Carré dans la Jota
Conte lyrique en deux actes, livret et musique de Raoul LAPARRA.
Dédié par Laparra "à ma femme, en souvenir de notre vie d'Espagne 1909-10".
Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 26 avril 1911. Mise en scène d'Albert Carré. Danse réglée par Mariquita. Décors d’Alexandre Bailly. Costumes dessinés par William Laparra, exécutés sous la direction de Marcel Multzer par Mme Solatgès et M. Mathieu. Accessoires exécutés par M. Walle.
8 représentations à l'Opéra-Comique au 31 décembre 1950.
personnages | créateurs |
Soledad | Mmes Marguerite CARRÉ |
la Caracolas | Marie TISSIER |
la Faifoya | Georgette JURAND |
la Menuda | Jeanne de POUMAYRAC |
la Carnereta | ROBUR |
1re Femme | Eliane PELTIER |
2e Femme | Mathilde COCYTE |
3e Femme | Marguerite VILLETTE |
une Mère | Hélène DUVERNAY |
deux Enfants | Germaine CARRIÈRE et la petite BRÉVAL |
Juan Zumarraga | MM. Thomas SALIGNAC |
Mosen Jago | Félix VIEUILLE |
Rodrigo | Louis VAURS |
le Chanteur de coplas | François MARIO |
Catchano Fanton | Louis AZÉMA |
Vicente | Georges de POUMAYRAC |
Triparlaga | Hippolyte BELHOMME |
Charampla | Maurice CAZENEUVE |
Espantamonte | Paul PAYAN |
Rancapinos | Pierre ANDAL |
Matarabia | Raymond GILLES |
Chinchin | Georges MESMAECKER |
Matapan | Francis DONVAL |
El Cabrito | Pierre DUPRÉ |
Zofras | Paul GUILLAMAT |
le Chef Carliste | Jean LAURE |
le Jeune Carliste | Robert PASQUIER |
1er Carliste | Charles Eugène Maurice COULOMB |
2e Carliste | BRUN |
un Enfant | PITSCKALSKI |
le Navarrais | BONAFÉ |
Chef d'orchestre | Albert WOLFF [débuts] |
Nous avons naguère analysé ici même (Larousse Mensuel Illustré, mai 1908) le premier ouvrage de ce jeune musicien, la Habanera, donné à l'Opéra-Comique. Certes, on n'y trouve point l'Espagne, telle que nous sommes habitués à la contempler, avec ses chaudes rutilances, ses rêveries calmes et paisibles, ses joies exultantes, ses passions frivoles. La conception de Raoul Laparra est tout autre : il envisage le côté brutal de son modèle et n'est attiré que par son réalisme sanguinaire ; c'est un impressionniste, qui peint à larges touches. Ses personnages vibrent, vocifèrent, bataillent, s'entre-tuent, mais l'action ou la psychologie de ces êtres exaltés n'est ni exposée, ni développée et conclue suivant une marche logique. Leur langage même est disparate, car ils parlent avec des accents basques un français entremêlé de termes catalans. Dans la Jota, surtout, toutes ces nuances sont poussées tellement loin qu'on se demande si le livret est écrit en français ou en basque et si les bruits fracassants sont vraiment des moyens efficaces pour exprimer artistiquement des pensées et des luttes qui s'engagent dans le cœur humain. Autant, dans la Habanera, le compositeur paraissait accentuer les traits de ses personnages par un coloris intense et cru, mais judicieusement employé, autant, dans la Jota, cette vigueur brutale et constante devient pernicieuse et lassante. Voici ce conte lyrique : en Aragon, dans le village d'Anso, vit la brune Soledad. Elle aime le beau guerillero Juan Zumarraga, et est aimée de lui. La révolte des carlistes interrompra leur idylle, car Juan doit rejoindre ses amis de Navarre. Soledad, qui sait les vertus des herbes et prévoit l'avenir dans les signes crépusculaires, a cru lire sa destinée « en regardant les Pyrénées qui saignent »... Elle pleure. Avant que Juan quitte le village, Soledad veut se griser dans une ronde infernale, tourbillon d'oubli et d'enivrement qui sera son baiser d'adieu, et, au moment du départ, elle reste sans un geste, comme pétrifiée par l'immense douleur qui l'envahit. Le curé du village, Mosen Jago, est épris, lui aussi, de Soledad ; il veut la guérir de son amour pour le Navarrais, dont il est secrètement jaloux. Le soir tombe, tandis qu'au loin l'écho retentit des chants d'adieu, et chacun, avec la misère au cœur, exhale la détresse et le trouble de son âme. L'âpre hiver, passé dans la montagne, a rendu la vie intenable aux carlistes, qui descendent vers le village. Parmi eux se trouve Juan. Affamés, ils prendront les maisons d'assaut, s'il le faut. Les Aragonais se réfugient dans l'église et mettent à leur tête Soledad, qui les exhorte à la résistance. La bataille se livre dans le lieu saint même. Les deux fiancés se rencontrent, et, malgré leur haine civique, l'éclair de l'amour luit dans leurs yeux. Mosen Jago, qui a tout compris, veut se saisir de cette femme : elle repousse le prêtre luxurieux. Juan est alors dénoncé aux Aragonais ; il est fusillé, et Soledad, qui l'enlace comme dans la jota, meurt debout avec lui, pendant que les carlistes font sauter l'église, dans laquelle il ne reste plus que quelques survivants ; Mosen Jago est mis en croix à la place du Christ, qui vient de s'écrouler sur un tas sanglant de cadavres... Si l'on fait abstraction du sujet brutal et confus de la Jota, pour ne porter un jugement que sur la partition, on y découvrira autant de musique que dans la Habanera, où le même système est appliqué. Il y a, dans l'une et l'autre de ces pièces, une compréhension particulière du pittoresque et un sentiment très intense de l'impressionnisme, presque toujours poussé à l'extrême. Le second acte de la Jota a été représenté dans un vacarme et dans un crépitement de mousquetons tels, qu'on ne pouvait distinguer la moindre note musicale ; mais, à la lecture de la partition, on y constate plus de musique qu'on n'en avait soupçonné et toujours autant de vie et d'agitation. Quoi qu'il en soit, nous préférons de beaucoup le premier acte de ce nouvel ouvrage. Le début agreste, avec la tenue des accords, et l'exposé des thèmes aux bois, sont d'un choix heureux : un air de fatalité se répand dans le calme du soir. La scène II du Ier acte se subdivise, suivant l'ancienne manière, en air pour le ténor, en duo avec le soprano, et en trio avec la voix grave, qui sont soutenus tantôt par l'orchestre, tantôt par l'orgue, et présentent de curieuses oppositions ; c'est, de toute la pièce, la partie la mieux traitée au point de vue du sentiment. Nous signalerons le chant du prêtre Mosen Jago : « Il ne faut pas aimer », dont une phrase servira de conclusion à l'ouvrage d'une façon si inattendue, et où l'on découvre un tourment charnel si violent chez cet homme qui prêche le renoncement à l'amour ! Le rythme de la danse de la jota s'esquisse peu à peu à travers l'action et les chants liturgiques de la procession, pour éclater dans une ivresse et une frénésie tourbillonnantes. Le second acte débute par de multiples cris d'horreur, qui se poursuivent dans le vacarme de la bataille. La rencontre de Juan avec le frère de Soledad, Rodrigo, lorsque celui-ci lui dit : « Nous t'avons donné notre toit », est d'un effet essentiellement dramatique ; au théâtre, la musique de ce passage échappe, à cause de l'intempestif crépitement des feux, des décharges et des explosions. Il y aurait plus d'une page curieuse à signaler également dans cet acte, malgré le tintamarre exagéré de la bataille. La scène de la séduction du prêtre et l'aveu de l'autour de Soledad pour son fiancé Juan est brossée largement, avec violence, et forme un duo librement conçu. Les accents de : « La jota sera notre danse » ont de la véhémence et des caresses furieuses dans leur expression. La fin ne présente aucune conclusion, ni dans un accord, ni à l'orchestre, et, seule, la voix du prêtre crucifié, qui psalmodie sa phrase : « Est-il un homme au monde plus torturé que moi ? », laisse une impression plutôt heurtée qui indispose, car on ne sait si l'action est réellement terminée. L'originalité est ici trop voulue pour qu'on lui reconnaisse les mérites d'une manifestation d'art spontané. Les principaux rôles ont été ainsi créés : Soledad, Mme Marguerite Carré ; Juan Zumarraga, M. Salignac ; Jago, M. Vieuille ; Rodrigo, M. Vaurs. (Stan Golestan, Larousse Mensuel Illustré, juillet 1911)
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