Théophile ROUSSEAU-LAGRAVE
Théophile Étienne ROUSSEAU dit Théophile ROUSSEAU-LAGRAVE
ténor français
(Château-Gontier, Mayenne, 15 septembre 1815* – naufrage en mer, 03 septembre 1860)
Fils d’Étienne ROUSSEAU (1789 –), horloger, et d’Aglaé Félicité CONDOL-LAGRAVE.
Il quitta le couvent pour la peinture, puis la peinture pour le chant. Il chanta pendant plusieurs années au théâtre de Bordeaux où il eut beaucoup de succès. Il chanta ensuite à l’Opéra sous le nom de Théophile Stephan de la Grave (1851-1852), puis au Théâtre-Lyrique sous le nom de Rousseau de Lagrave (1854-1855). En 1855, il partit chanter à La Nouvelle-Orléans. Attendu pour y chanter à nouveau, il périt lors de la traversée de l’Atlantique ; il avait quarante-quatre ans. On lui doit les paroles de la mélodie la Foi, l’espérance et la charité, mise en musique par Georges Bizet en 1854.
Sa carrière à l'Opéra de Paris
Il y débuta le 18 juin 1851 dans la Favorite (Fernand).
Il y chanta Lucie de Lammermoor (Edgard, 07 juillet 1851). |
Sa carrière au Théâtre-Lyrique
Il y débuta le 06 février 1854 dans Élisabeth ou la Fille du Proscrit (Vanikoff) de Gaetano Donizetti.
Il y participa aux premières : le 25 avril 1854 de la Reine d'un jour d'Adolphe Adam ; le 24 janvier 1855 de Robin des bois (Tony) de Carl Maria von Weber [version française du Freischütz de Sauvage et Castil-Blaze]. |
Un artiste de l’Opéra, dont nous avons toujours parlé avec la sympathie qu’il mérite, M. de La Grave, est en ce moment au Mans, où il donne des représentations très suivies. Il a joué successivement Fernand, de la Favorite, Edgard, de Lucie, Gérard, de la Reine de Chypre, et voici ce qu’en dit notre spirituel confrère de l'Union, du Mans, M. Loger : « M. de La Grave est un de ces artistes qui se jugent à la première épreuve, au premier morceau de chant, et, quand on l'a entendu une fois dans la Favorite, on n'a que faire de savoir comment il peut chanter dans Lucie ou dans la Reine de Chypre, pour reconnaître qu’il possède une des plus agréables voix de ténor qui se puisse rencontrer. M. Rousseau de La Grave est presque un compatriote ; il est né à Château-Gontier. Il a fait ses débuts dans notre ville, sur cette même scène, où le chaleureux accueil qu'il reçoit aujourd'hui doit lui rappeler ces premiers applaudissements, toujours chers à un artiste qui entre dans la carrière ; car ils lui donnent confiance dans l'avenir, ils fortifient sa foi dans son art, ils relèvent son courage s'il est prêt à faiblir. Tel se sent rebuté et découragé au début, parce qu'un malheureux et souvent stupide sifflet sera parti du parterre, qui, soutenu par un timide bravo, eût marché hardiment dans le chemin de la fortune et de la gloire. Si M. Rousseau de La Grave est un de ces artistes heureux auxquels le succès a souri dès leurs premiers pas, il faut dire aussi que jamais succès ne fut assuré d’avance par une vocation plus ardente et par une voix plus sympathique. Nous employons ce mot de sympathique à dessein, parce que c’est celui qui exprime le mieux et avec le plus de vérité ce qu'on éprouve quand on écoute chanter M. de La Grave. Sa voix va droit au cœur : vibrante et déchirante, dans l'expression des sentiments de l’âme, elle communique à son auditoire le trouble qui semble la posséder. C'est du drame chanté, mais du drame avec l'accent de la passion et débordant d’harmonie. » On voit, par cette citation, que la province et Paris sont d'accord pour louer ce qui est véritablement beau. L'Opéra utilise peu les services que M. de La Grave pourrait lui rendre, et nous croyons que l’Opéra-Comique ferait bien de s’attacher cet artiste. Où Mme Cinti-Damoreau a brillé avec éclat, M. de La Grave ne serait pas moins favorablement placé. (Théodore Anne, l’Union, 01 décembre 1851)
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Nous lisons dans le journal d'Ille-et-Vilaine : « Un artiste qui a eu une carrière des plus tourmentées, Rousseau-Lagrave, est mort, il y a peu de temps, à la Nouvelle-Orléans, où il occupait l'emploi de premier ténor. Rousseau-Lagrave avait reçu une bonne éducation, et s'était d'abord livré à la peinture. Il se fit remarquer à Rennes par une voix qui longtemps brilla dans nos concerts ; aussi fut-il recherché par une communauté religieuse où il voulut prendre les ordres. Bientôt découragé de la vie monastique, Rousseau-Lagrave la quitta pour reprendre ses pinceaux. Mais l'art ne lui fournissait que peu de profits, il prit soudain la résolution d'aborder la carrière théâtrale. Il débuta sur notre scène, où il eut une immense réussite ; puis il ne tarda pas à être engagé à Bordeaux, où pendant deux saisons il fut l'artiste à la mode. De Bordeaux Rousseau-Lagrave passa au Théâtre-Lyrique où il joua avec succès Elisabeth, opéra posthume de Donizetti. Enfin de brillants avantages le décidèrent, il y a six ans, à accepter un engagement à la Nouvelle-Orléans. Il y a trouvé une mort prématurée. » Rousseau-Lagrave avait également paru plusieurs fois sur la scène du Mans, mais nous croyons qu'il avait fait ses débuts sur celle d'Angers. On se rappelle encore le grand succès qu'il y obtint dans la Favorite et dans Lucie, les deux opéras qui convenaient le mieux à sa voix. Rousseau-Lagrave était le fils d'un horloger de Château-Gontier qui s'appelait simplement Rousseau. Plus tard, il avait ajouté à ce premier nom celui de Lagrave qui était le nom de sa mère. (Revue de l’Anjou et de Maine-et-Loire, février 1861)
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Rousseau-Lagrave vint fort jeune se fixer à Rennes, où il comptait vivre de son pinceau, car il était peintre, et, nous devons le dire, il n'obtint dans son art que de fort médiocres résultats. L’évêque de Rennes, qui s'intéressait au jeune artiste dont il avait remarqué la jolie voix de ténor, le fit entrer comme soliste à la maîtrise de la Cathédrale. Invité dans la meilleure société, il chantait dans les salons, dans les concerts, souvent dans les églises. Un jour Rousseau-Lagrave quitta brusquement notre ville, sans prévenir personne. On apprit bientôt qu'il s'était fait trappiste, et on l'avait déjà presque oublié lorsque tout à coup, abandonnant le froc, il revint à Rennes avec l'idée, bien arrêtée cette fois, d'aborder la carrière théâtrale. En effet, bien que fort inexpérimenté, il débutait sur notre scène, en 1846, dans le rôle de Fernand de la Favorite, qu'il chanta deux fois. L'œuvre maîtresse de Donizetti constituait seule à ce moment tout le bagage lyrique du débutant qui, encouragé par le succès, se mit résolument au travail pour se constituer un répertoire. Il y réussit assez promptement puisque, quelques mois plus tard, après avoir chanté au Mans et à Angers, il revenait à Rennes en janvier et février 1847 et s'y faisait applaudir, d'abord dans son opéra de premier début, la Favorite, puis successivement dans Lucie de Lammermoor, la Muette de Portici, le Comte Ory, Guillaume Tell. Le 4 mars suivant on jouait pour la première fois à Rennes les Mousquetaires de la Reine, avec Rousseau-Lagrave dans le rôle d'Olivier d'Entragues. Après avoir chanté à Bordeaux et dans plusieurs autres grands théâtres de province, il fut engagé à Paris, au théâtre de l'Opéra, sous le nom de Stephan de la Grave, le 1er juillet 1851 ; il n'y resta que peu de temps et chanta au Théâtre-Lyrique en 1854. Voici d'ailleurs, au sujet de cet artiste, un extrait d'une lettre qui nous fut obligeamment adressée en 1887 par le regretté bibliothécaire-archiviste de l'Opéra, le fécond auteur dramatique Charles Nuitter, avec lequel nous avions le plaisir d'être en relations à cette époque :
Archives et Bibliothèque de l’Opéra Paris, 19 novembre 1887. Monsieur, Voici les renseignements que je puis vous transmettre sur le ténor R. de la Grave, d'après la Revue et Gazette musicale, et le dossier de cet artiste : 1849, à Bordeaux, il joue la Reine de Chypre. 1850, à Bordeaux, il joue la Favorite, Lucie, les Huguenots. En juillet, Charles VI (il est sifflé par une cabale à sa rentrée, puis applaudi par toute la salle). 1851, à Paris, Théâtre de l'Opéra : 1er engagement. — Théophile Stephan de la Grave. Du 1er juillet au 31 décembre 1851 ; 1000 francs par mois. 2e engagement. — Du 1er janvier au 31 décembre 1852 ; 14.000 francs par an. Deux congés ; un de quinze jours, un de six semaines. Cet engagement est résilié, d'un commun accord, à partir du 1er juillet 1852 (1). Ouvrages chantés à l'Opéra : 1851, 18 juin. 1er début, la Favorite. — 25 juin. 2e début, la Favorite. — 7 juillet. 3e début, Lucie. (Il n'a pas chanté d'autres rôles à l'Opéra). 1854, à Paris, au Théâtre-Lyrique : — février. — Débute dans Élisabeth. — mai. — Chante la Reine d'un jour. 1855, chante Robin des Bois. Je n'ai pas trouvé dans nos archives d'autres renseignements sur R. de la Grave. Veuillez agréer, etc. Signé : Ch. Nuitter.
(1) Nous avons tenu à donner ici ces renseignements officiels, afin de détruire une légende fort accréditée autrefois à Rennes, et d'après laquelle Rousseau-Lagrave aurait eu à l'Opéra des appointements rien moins que fabuleux. On allait jusqu'à affirmer que cet artiste touchait de huit à dix mille frais par mois !... Mais qui veut trop prouver ne prouve rien. La lettre de Charles Nuitter met les choses à leur point.
Le pauvre Rousseau-Lagrave eut une triste fin : il prit dans un naufrage. En 1861, il s'embarquait pour La Nouvelle-Orléans avec une troupe lyrique, et le navire qui l'emportait périt corps et biens pendant la traversée.
(Lucien Decombe, le Théâtre à Rennes, 1899)
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